Fin Juin 1996 – Je me trouve devant le CNSM de Paris (Conservatoire National Supérieur de Musique), sur cette terrasse blanche où la fontaine n’a jamais vraiment coulé. Près de moi passe une amie : Marie-Cécile. Nous avons eu notre Prix de musique de chambre ensemble. Cela fait presque deux ans que nous ne nous sommes pas vus.

Elle me raconte ses déboires professionnels avec un orchestre où elle a été refusée pour des raisons administratives, et je lui fais part de ma volonté de découvrir d’autres cultures, d’autres mondes. Je n’ai pourtant pas à me plaindre. Je travaille déjà à l’Orchestre de l’Opéra de Saint-Étienne et je cachetonne beaucoup à Paris, surtout depuis que le professeur de direction d’orchestre du CNSM, J.S. BERREAU, m’a recommandé auprès de ses relations. Ça aide ! Tellement, que je n’arrive pas à tout faire. Je partage donc mes cachetons avec Sylvain, un très bon ami de la classe de hautbois envers qui j’ai le plus grand respect.

Finissant mon café, j’avoue à Marie-Cécile que je vais me présenter au concours de Lisbonne, où l’on recrute des hautboïstes. Je lui fais part des critiques que j’ai reçues de mes collègues et amis qui se demandent ce que je vais faire dans cette « région d’Espagne ! » perdue au fin fond du monde ! Après tout la France n’est-elle pas le centre du monde ?!

Toujours est-il que j’ai préparé mes valises, et invité Marie-Cécile à en faire autant si elle ne trouvait pas son bonheur en France. Le monde est vaste.

Décembre 1996 – Je suis hautboïste à l’Orchestre Métropolitain de Lisbonne et professeur à l’Académie Supérieure d’Orchestre de Lisbonne… Mon objectif : former les jeunes hautboïstes portugais. J’ai réussi ! ENFIN PRESQUE.

Je commence à découvrir les réalités de la vie musicale au Portugal. Pas de contrat de travail, je dois payer ma sécurité sociale, une administration très lente, et un goût prononcé pour le fado ! Ce n’est pas grave, le salaire est astronomique comparé au coût de la vie !! Je m’éclate ! J’achète une voiture car ma FIAT Panda n’a pas résisté au voyage Paris-Lisbonne. J’achète un appartement, et c’est parti, je travaille… beaucoup ! Je m’aperçois que je ne suis pas le seul musicien français, donc je m’informe auprès des « anciens ». J’apprends. Je voyage, effectue des tournées en Inde, Corée, Macao, Thaïlande, Italie, Japon… C’est l’époque des subventions européennes ! Je joue en soliste Strauss, Bach, Françaix.., bref, autant d’activités que je n’aurais peut-être pas pu réaliser en France. Je ne m’ennuie pas.

De temps en temps je reçois des nouvelles de mes anciens collègues. Sylvain, après avoir travaillé deux ans dans une poissonnerie fautes de cachetons, a aussi tenté sa chance à l’étranger, et s’est retrouvé à Dublin où il est maintenant co-soliste. Quant à Marie-Cécile, elle est partie en Grèce. 

Décembre 2009 – Depuis lors j’ai changé d’orchestre. Mon salaire a été divisé par deux. J’ai appris à comprendre le Portugal. Je maîtrise parfaitement sa langue et découvert nombre de ses secrets. Tous mes amis ou presque sont portugais. J’ai fondé ma famille, franco-portugaise, j’ai deux enfants, et pour rien au monde je ne changerais de pays.

Entre-temps Marie-Cécile a été nommée soliste de l’Orchestre des Couleurs à Athènes et a créé www.mousikos.fr ^[1], J.S. BERREAU a pris sa retraite du CNSM et vit à présent au Portugal où il enseigne la direction d’orchestre à l’Ecole Supérieure de Lisbonne, et Sylvain, co-soliste de l’Orchestre National de Dublin, boit quelques bières à notre santé !

Conclusion : s’expatrier n’est pas facile. Cela demande énormément de volonté, et pour certains, le « déclic ». C’est un choix que je crois, aujourd’hui, courageux. Mais les problèmes que j’ai rencontrés existent aussi en France. Ils sont seulement différents. J’ai décidé de découvrir le Portugal avec l’esprit ouvert, et ce pays me l’a rendu au centuple.

Si « l’esprit ouvert » ne suffit pas, tapez : www.mousikos.fr ^[1]

Bonne aventure à tous !