06 juin
2012

Mes adieux à la musique : un parcours peu ordinaire

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Rebondir : du Mont Hymette au Lac Léman.

J’écris cet article pour faire connaître à tous mon départ de Grèce, qui date de décembre, et, du même coup, l’arrêt pour moi du métier de musicienne. Voilà, c’est dit. Croyez bien que ce fut une décision difficile. Je tourne aujourd’hui la page et, résolue à ne regarder que devant moi, j’entame une nouvelle vie avec toute la sérénité nécessaire.

Tout le monde entend parler de la crise grecque, mais il faut vivre dans ce pays pour en comprendre les effets, et sentir à quel point la crise détruit le peuple. Sur fond de cataclysme financier, ce sont des drames personnels qui se déroulent au quotidien. Je n’ai pas pu résister plus de deux ans. Je voulais sauver ce qui pouvait encore l’être, mais ces longs mois de bataille ont eu raison de moi. Ce fut une descente aux enfers, chaque jour coûtait davantage, les dettes s’accumulaient, la proposition de l’Orchestre d’abaisser mon salaire à 270 euros par mois en « attendant que les choses s’arrangent » me fut fatale, un montant qui ne couvrait même pas mon loyer. Que faire, sinon partir ? D’ailleurs, la mort dans l’âme je voyais disparaître tout ce que j’aimais et admirais de ce pays, cette chaleur humaine, cette solidarité, qui m’avaient conquise. Là où elle passe, la crise est ravageuse, emporte tout, balaie tout. Ayant vécu 15 ans dans ce pays, je n’avais pas toujours été épargnée par l’injustice, j’avais éprouvé ici et là des ressentiments, « on » m’avait parfois fait mal. J’avais, je l’avoue, mes petites rancœurs, et la crise les a vaincues aussi. Aujourd’hui, comment en vouloir à des gens qui souffrent tant, qui eux aussi essaient de s’en sortir ? De tout mon cœur je suis avec eux, je souhaite qu’ils se sortent de là, restent forts, ne baissent jamais la garde. Aux censeurs qui assis devant leurs téléviseurs pensent que « c’est bien fait », que les Grecs méritent ce qui leur arrive, je dis « vous faites erreur ». Personne, à vrai dire, n’a pu mériter cela.

Aurais-je dû partir plus tôt ? Peut-être, mais la Grèce est devenue mon pays, j’y ai construit ma vie personnelle et professionnelle, je me suis imprégnée de sa culture. La Grèce a pris mon cœur, maintenant elle est une partie de moi. De départ, je ne voulais pas entendre parler, je voulais me battre au côté de mes amis grecs, être l’une d’entre eux, parmi eux. L’été dernier pourtant j’ai pris conscience que le moment tant redouté allait arriver. Mais cela restait inconcevable, irréalisable. Empêchée de me projeter, je ne voyais ni solution ni avenir. Partir si vite, ça voulait dire rentrer vivre chez mes parents, aller pointer à Pôle Emploi – là où un diplôme de musicien n’ouvrait aucune porte – ne pouvoir me référer à aucune expérience en France. Voyez, dans cette situation, la difficulté à décider. J’ai tenté de m’accrocher encore, sans y croire vraiment. Rester, juste encore un peu. Me replier sur moi-même davantage encore. Attendre. Peut-être que le couperet ne tombera pas…

Ne pas dire adieu à la Grèce, pas encore, pas tout de suite. Et la musique ? Tout arrêter là aussi ? Ai-je vraiment le choix ? Dois-je attendre que se présente un concours d’orchestre, à réussir peut-être ? Quand ? Cette fois, non, soyons réaliste.

J’ai rassemblé mes dernières forces, soutenue par mes proches. J’ai mis en place mon CV en ligne, fait valoir mes compétences en informatique. Ça m’a permis de faire un bilan, de prendre confiance, de considérer les avantages d’un changement de vie.

Et l’incroyable est arrivé ! J’ai reçu une proposition d’emploi, une opportunité extraordinaire m’était proposée. J’avais deux jours pour réfléchir et accepter, j’ai dit « oui » à ce futur employeur, dont la nationalité grecque a été, je l’avoue, un élément déclencheur. J’ai alors gardé cette ligne sans tergiverser. J’avais, au travers d’un entretien, repris ma dignité. Alors, comme on dit en Grèce, je suis « partie la nuit », en un mois j’ai radicalement changé de vie. Elisant domicile en Haute-Savoie je me suis jetée à l’eau, occupant à Genève, dans une entreprise ambitieuse, un poste de confiance.

Cette embauche me permettait de partir sans renoncer à la Grèce, de garder le lien. Mais je remercie particulièrement cet employeur de la confiance qu’il m’a tout de suite donnée.
Mon destin, j’en ai conscience, n’est pas ordinaire. Arrivée en Grèce avec ma musique pour tout bagage, j’ai dû quitter ce pays et arrêter de ce fait ma carrière. Mais j’en suis repartie enrichie de la culture et de la langue grecques, qui, ajoutées à cette opportunité, m’ont offert une agréable compensation !

Comment une musicienne vit-elle sans la musique, passion d’une vie ? Je ne peux pas encore répondre à cela, pour le moment je me concentre sur mon nouveau travail.

Pour être franche, voir une clarinette ou en écouter le son m’est parfois difficile, je n’ai pas encore fait complètement mon deuil. Mais en repartant de zéro je me lance un défi, l’obligation de tout apprendre dans un domaine nouveau ; tout ceci est stimulant et facilite le franchissement du Rubicon. De plus, je suis rentrée chez moi : partie depuis si longtemps, je découvre et redécouvre aujourd’hui, avec les yeux d’une étrangère, mon pays avec bonheur.

Oui, ça va ! Je m’accroche, je progresse chaque jour un peu plus. Je m’oblige à voir ma nouvelle vie à travers un prisme favorable. Avec quelque fierté, je prends conscience aujourd’hui du courage qu’il m’a fallu pour réaliser ce qui semblait pourtant m’apparaître impossible : changer à la fois de vie, de pays et de métier. Mais sur mon passé je ne tire pas un trait, je ne veux rien regretter. Mon parcours a été chaotique ? Peut-être, mais je me suis réalisée dans la musique, dans une vie si différente à l’étranger, j’ai plongé dans une autre culture qui m’a fait mûrir, j’ai beaucoup appris de toutes ces années. En mai 2011, je jouais encore dans une salle prestigieuse à Athènes le concerto de Mozart accompagnée de mon orchestre. En septembre 2011, je participais à mon dernier concert : c’était à l’Herode Atticus, je jouais de la musique grecque, du Chatzidakis et du Theodorakis entre autres. Et en décembre 2011, j’étais… à Genève, pour devenir responsable du bureau d’une société horlogère suisse !

Un mot pour finir. J’ai une pensée aujourd’hui pour mes amis de Grèce, à l’époque quittés sans un mot. Je voudrais qu’ils m’excusent. Il fallait alors ne pas regarder derrière moi, faire au plus vite. C’était le moyen de surmonter l’insupportable, d’adoucir l’arrachement, de ne pas sentir trop vivement la déchirure. Je crois que vous comprenez et je vous remercie d’avoir tous ces mois respecté mon silence. Cette décision si lourde, je ne pouvais l’assumer que si j’étais seule à la prendre. Jamais ne la reprocher à qui que ce soit. Je ne vous oublie pas, et reviendrai vous voir.

Merci enfin à tous mes amis de France et d’ailleurs, qui m’ont adressé maints messages de soutien. Je n’ai répondu à aucun d’entre eux, je devais d’abord absorber le choc du changement et le digérer. Libérée aujourd’hui de ce poids, je me dis prête à vous retrouver.

Que deviendra mousikos.fr ? Le site continuera d’exister, j’en assurerai la gestion, je le développerai. Le seul rôle que je ne jouerai plus sera celui de rédactrice pour la Grèce. On s’y remet, vous voulez bien ? Je compte sur vous !

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Article publié par Marie-Cécile BOULARD.


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