Une répétition d’orchestre au Michigan Opera Theatre (Détroit)
- Rédaction : Etats-Unis » Michigan
Aujourd’hui, première de deux répétitions pour l’orchestre seul avant que les chanteurs ne se joignent à nous pour les trois suivantes. Nous répétons au deuxième étage de l’opéra, dans une grande salle lugubre et trop sonore, qui nous fait regretter de ne pas avoir plus souvent la fosse à notre disposition.
Il est 18h. Comme ailleurs sans doute, ce sont presque toujours les mêmes qui arrivent en premier : le percussionniste avec tous ses instruments à décharger et à installer ; la harpiste et ses 47 cordes à accorder. Il y a ceux qui viennent de loin, de l’Ohio ou même du Canada, et les prudents qui se méfient des embouteillages…
Voici Diane, ma voisine de pupitre, elle exerce aussi la fonction de régisseur de l’orchestre. Les pupitres ont-ils été placés selon les directives du chef invité ? Certains désirent les violoncelles à leur droite, certains devant eux. Elle contrôle aussi que la température n’est ni en dessous de 18 ni au-dessus de 29° Celsius (65° ou 85° Fahrenheit). Sinon, il faudra attendre que le mercure veuille bien descendre ou remonter un peu !
En principe, notre contrat prévoit que nous devons être assis devant nos pupitres cinq minutes avant le début de la répétition. En réalité, nous sommes tous déjà installés pour nous chauffer et réviser les passages difficiles. Ah ! Le chef arrive, et serre la main du violon solo.
18h58. Plus que deux minutes. Diane fait signe au violon solo, l’orchestre s’accorde à 440, c’est ici l’usage. Quelques secondes encore, et Diane se lève pour présenter le maestro à l’orchestre. Applaudissements. Avec son charmant accent italien, il nous fait part de son plaisir de travailler avec nous, nous félicite pour la précédente représentation à laquelle il a assisté, glisse un commentaire qu’on ne sait pas trop comment prendre sur le nombre succinct de répétitions, demande à Diane de lui signaler l’heure de la pause, et en avant pour l’ouverture !
Ah ! zut ! une corniste arrive en retard. Diane pose son archet et note son heure d’arrivée, à mon avis, pas de cadeau, son temps de retard sera déduit de son cachet ! Une répétition dure trois heures, les générales trois heures et quart et les représentations trois heures et demi, avant que ne soient comptés les quarts d’heure supplémentaires.
Il faut vraiment un super chef et une partie d’orchestre intéressante pour que ces deux répétitions sans les chanteurs ne soient pas trop ennuyeuses. Avec Puccini ou Richard Strauss bien sûr, nous y prenons plaisir, mais quand il s’agit de Rossini, par exemple, c’est mortel !
A 20h20 pile, Diane, avec autant de tact que possible, fait signe au chef que l’heure de la pause est arrivée, alors même qu’il ne reste que deux lignes avant la fin de l’air ; c’est un peu idiot mais c’est le règlement !
20 minutes de pause, les musiciens s’éparpillent. Les membres du comité de l’orchestre en profitent pour discuter de la dernière requête de l’administration concernant la retransmission en direct d’une représentation à la radio locale et sur l’Internet. Certes, nous ne seront pas rémunérés en plus pour cela, mais voilà une occasion d’élargir notre audience et de faire de la publicité pour la compagnie. « Est-ce que cela créerait un précédent ? » Bonne question…
Le chef, pas encore remis du décalage horaire, en plaisante. De plus, il a eu répétition sur répétition avec les solistes et les chœurs depuis qu’il est arrivé… Fin de la pause.
Avant le LA du hautbois, Diane annonce, comme le contrat le stipule, le nombre de quarts d’heures supplémentaires envisagés pour les services à venir, et mon collègue, représentant syndical, nous rappelle une réunion de tout l’orchestre pour l’élection d’un nouveau comité. La musique reprend.
Le chef apporte une correction aux cors et, afin d’être compris, chante la partie en utilisant non pas les lettres du système anglophone mais les notes de solfège. Mes collègues trouvent toujours qu’un chef qui peut ainsi solfier a de la classe, et me lancent un regard entendu.
Il est 21h53, c’est justement la fin du deuxième acte. Va t’il commencer le troisième pour les sept minutes qu’il lui reste ou nous laisser partir ? Il feuillette les pages suivantes pour évaluer le pour et le contre, sourit, pose sa baguette et nous remercie pour cette « bonne répétition ». Applaudissements des musiciens ! Il s’est gagné une bonne note pour l’évaluation que nous lui donnerons à la fin des représentations ! Je plaisante, on ne base pas notre jugement sur le chef s’il nous laisse partir avant l’heure ou pas… Quoique…!
Ces évaluations que nous devons remplir sur chaque chef, nouveau ou habitué, sont destinées à une base de données que les directeurs d’opéras peuvent consulter avant d’engager tel ou tel chef. Elles comportent une dizaine de critères parmi lesquels sa technique de direction, son efficacité pendant les répétitions, ses résultats lors des représentations, sa politesse envers les musiciens, etc.
Demain les musiciens entameront une autre journée. La plupart ont une double carrière et jouent dans différents orchestres, beaucoup sont également professeurs. Quant à un de mes collègues Brian, on peut presque dire qu’il a une triple vie : quand il ne joue pas à l’opéra, il promène sa clarinette sur toutes les scènes de la région et entre temps travaille chez FORD non comme musicien, mais en qualité d’ingénieur!